INTERVIEW : R.Remaud, l'entretien grand format (1/2)

Publiée par Ivan Cappelli le mardi 5 juillet 2016 à 16:00
R.Remaud

L'envie était là, mais le temps à la réalisation manquait des deux côtés. Après une nouvelle saison riche en émotions, le président de la Fédération Française de Badminton, Monsieur Richard Remaud, a pris le temps de se confier à Badmania sur sa vision du badminton. Voyage en deux chapitres (le second sera publié demain après-midi) et sans langue de bois, au plus profond des convictions du dynamique leader de la FFBaD.

''Si le système de classement n'est pas bon ...''

Le nouveau classement fédéral a beaucoup fait parler cette année. Comment analysez-vous ce changement ?

"Je porte un regard circonspect. Ce changement était motivé d'abord par le fait de toujours suivre les engagements pris par la Fédération, y compris ceux de mes prédécesseurs. En l’occurrence, cette, évolution avait été annoncée à plusieurs Assemblées Générales, et même lors d'un congrès à Boulogne sur Mer (62). Nous avons voulu mettre en place cette évolution de façon raisonnée, ce qui excluait une mise en place dès 2013/2014. On m'avait promis qu'il serait effectif en 2014 : ça n'a pas été le cas. J'ai donc demandé à ce que des travaux complémentaires soient menés pour 2015, afin de préserver les clubs et les organisateurs tournois, ce qui a été fait.

Si je suis circonspect, c'est que même si je loue les salariés et bénévoles qui ont travaillé très dur dessus - y compris depuis sa mise en ½uvre - force est de constater que le nouveau système de classement n'est pas abouti. Il reste des ajustements à faire qui ont déjà été discutés en Assemblée Générale. Les joueurs se sont toutefois assez rapidement adaptés, malgré quelques incohérences notamment chez les plus jeunes qui nous ont vite été remontées. L'impact négatif sur l'organisation des compétitions n'a en revanche pas été suffisamment appréhendé. Quand on prend un dossier à charge, il faut prendre en charge tous les aspects du dossier et, sur ce point, ça n'a pas été suffisant.

D'une part, certains organisateurs se sont retrouvés en difficulté en début de saison. D'une autre, des esprits plus réactifs que d'autres ont vite identifié les failles du système pour en faire bénéficier leurs propres licenciés. Ce nouveau dispositif est donc perfectible. Mais nous avons besoin d'une stabilité, joueurs comme organisateurs. Ce système continuera donc l'an prochain, et après 2 années de fonctionnement en situation réelle, on pourra tirer les enseignements définitifs de ce système. Notre rôle est de faire en sorte qu'il fonctionne et soit compris, mais si l'expérience montre qu'il n'est pas adapté, il faudra en tirer les enseignements qui s'imposent."


Vous seriez donc prêt à déjà abandonner le nouveau système de classement fédéral ?

"Si le système n'est pas bon, il faudra soit revenir à l'ancien, soit trouver une solution alternative qui fonctionne bien. Au bout d'un an, on ne peut pas avoir de certitudes. Ce système a des qualités, ce qui explique que l'on souhaite suivre ce qui avait été proposé. Sa qualité première est que l'on priorise la victoire. On voit les écueils du système, mais on a oublié que dans les années précédentes, on se plaignait de voir des concurrents directs gagner plus de points en gagnant un seul match qu'en accumulant plusieurs victoires !

Le nouveau système repose sur un socle : rendre la victoire plus noble, et apprendre à gagner aux jeunes et moins jeunes. Autre objectif : que chacun se retrouve dans un seul et même classement, du niveau PR au niveau international. Ce dispositif fonctionne aujourd'hui, malgré quelques décalages sur l'enregistrement de tournois internationaux. Dans le courant du 1er semestre 2017, nous demanderons une analyse poussée, avec le concours de statisticiens badistes qui nous aident déjà, pour voir si le système est productif ou s'il faut une solution alternative."

R.Remaud

''Accueillir des compétitions, c'est une chance de gagner plus de titres''

Depuis le début de votre mandat, la France s'est distinguée par une boulimie d'organisation de grands tournois. 4 championnats d'Europe des clubs, 1 championnat d'Europe, l'Orléans International Challenge, et bien sûr les IFB, et ce sans-même parler des compétitions jeunes ! Est-ce pour vous le vecteur-clé pour enraciner la passion du badminton en France ?

"C'est une des clés à long terme, une stratégie importante à mettre en ½uvre. Cette dynamique a été votée en Conseil d'Administration en Septembre 2013, à mon initiative. On veut les Mondiaux Para-badminton 2018 et 2019, nous avons d'ores et déjà obtenu les championnats d'Europe par équipes 2020, et nous sommes candidats pour accueillir les Thomas & Uber Cup 2021 et 2022. Tout ceci pour aboutir à une candidature pour organiser les Mondiaux 2023, avec l'envie qu'ils soient une compétition test en vue des JO 2024 à Paris. C'est un plan décennal cohérent qui suit son cours.

Ma motivation première, c'est d'offrir à la France un rayonnement international. Faire de la France une nation majeure du badminton, ça passe par les résultats, mais aussi par la possibilité d'accueillir de grandes compétitions, et d'y participer. Ça place la France dans l'échiquier international, mais c'est aussi se placer au centre du jeu pour le sport Français. D'où le 2ème objectif : offrir plus de place à la France du badminton dans la France du sport. Quoiqu'on en dise, ce type d'événement fait parler de notre discipline, fait venir les ministres et les élus admirer le badminton en Vendée, et c'est à travers le développement de cette influence que les retombées sur les clubs, comités et ligues viennent. Petit à petit, les élus leur disent qu'ils ont vu du badminton à la télé, ou qu'ils ont été invités à un événement, et qu'ils en sont revenus conquis.

3ème objectif : la notoriété. Certes, les championnats d'Europe des clubs ne passe pas à la télévision comme la ligue des champions de Football, mais à chaque édition en Picardie comme à Tours, la presse locale se met en route, les chaînes TV régionales aussi. Mais c'est aussi pour nos clubs l'opportunité de bénéficier de deux places dans le tournoi. C'est donc aussi aller chercher des résultats, et le résultat à Tours (Issy-les-Moulineaux champion d'Europe, Chambly 2ème, ndlr) en est le parfait exemple. Côté médias, je loue la réussite de la diffusion des IFB sur L'Équipe 21, tout comme les Championnats d’Europe 2016 avec plus de 18h de direct et de belles parts d'audience. La fin du match de Kersaudy/Palermo a enregistré un pic d'audience de 220 000 téléspectateurs par exemple.

4ème objectif : aider les Français à aller encore plus loin dans le parcours d'excellence sportive. Profiter du home advantage, c'est une chance de gagner plus de titres. C'est aussi une occasion pour les joueurs français d'économiser de l'énergie en évitant la fatigue du voyage en Asie, et de profiter de l'engouement national pour aller faire des perf'. Ce n'est pas une ambition individuelle : je souhaite que le badminton français dans son ensemble gagne. Je veux que les joueurs français gagnent, au même titre que je souhaite faire gagner le badminton français quand je rentre en réunion. Il reste des voies d'amélioration toutefois. Il n'est pas normal par exemple que les jeunes français doivent aller en Suisse ou Hollande pour participer à des compétitions espoirs. Nous avons 2000 clubs, et largement la compétence pour accueillir en France un Super Series junior ou une manifestation de ce type récurrente, et favoriser l'épanouissement de nos jeunes."


Une compétition réussie et saluée par les joueurs, mais pas de médaille continentale pour le badminton français en Vendée : quel sentiment prédomine à l'heure du bilan sur les championnats d'Europe 2016 ?

"Nous n'avons pas rempli l'objectif sur le plan sportif. Nous avons manqué cette fameuse médaille, ce qui est clairement un échec. Maintenant, il faut nuancer ce bilan : objectivement, jamais la France n'avait obtenu 3 quarts de finale, ou 13 qualifiés dans la manifestation. Nous n'avions jamais gagné autant de matchs sur un championnat d'Europe, en passant de 7 victoires à Kazan (2014) à 14 cette fois-ci. La densité est là, mais nous n'avons pas rempli l'objectif le médaille, et je le regrette autant que je l'assume. Évidemment, une demi-finale tricolore aurait signifié plus d'images sur L'Équipe 21, plus de notoriété et de visibilité pour le sport. Pour les joueurs, le goût de la médaille aurait constitué un déclencheur pour se surpasser. Ça passe à 2 points, ceux qui manquent à Gaëtan et Audrey (Mittelheisser/Fontaine, ndlr) pour s'offrir un quart franco-français.

En revanche, le succès populaire a été au rendez-vous avec 18 000 visiteurs dans la semaine, et des retours médias impressionnants. Mais surtout – ce qui n'est pas quantifiable –, on a tous eu des retours de dirigeants sportifs ou entourage qui nous ont dit  « J'ai vu du bad a la TV, et c'était vachement bien !». Le samedi a été fantastique, avec plus une seule place de libre. C'était même difficile de pouvoir se rasseoir après être allé à la buvette ! Aussi, et on l'oublie : on arrive à amener de plus en plus d'élus, comme on l'avait vu aux IFB 2015. Pour première fois la maire de Paris, Madame Hidalgo, s'est rendue aux IFB. C'est un signe qui ne trompe pas."

R.Remaud

''Je voulais Peter (Gade) depuis le début de mon mandat''

Côté IFB, une grande refonte du système Super Series s'annonce pour 2018 : quelle place auront les IFB dans cette nouvelle dynamique ?

"Cette réforme a en effet été validée, mais c'est davantage un toilettage de la BWF, car l'esprit reste le même. Les Super Series sont la vitrine du badminton international. Le Plan stratégique est axé sur l'entertainment, le sport spectacle. On norme notre plateau pour la télévision pour que les chaînes sachent que le spectacle a de la gueule, et qu'ils peuvent le diffuser. Aujourd'hui : la BWF vit aussi des dizaines de millions de dollars générés par la vente des droits TV des Super Series. Avoir boosté le Prize money des Super Series a aussi attiré de nouveaux partenaires, comme Metlife ou Total.

Pour 2018-2021, il y a 2 évolutions majeures : un nouvel échelon au sein du circuit Super Series, et l'augmentation du Prize money. De ce fait : a partir de 2018, il y aura théoriquement 3 Super Series Premier (World Super Series 1000), 5 Super Series de second niveau (World Super Series 500) à 700 000 $, et 7 SS de troisième niveau (World Super Series 250) à 350 000 $. Ce nouveau système offre plus de certitudes d'attirer les meilleurs joueurs, grâce à des accords avec la BWF et plus de points au ranking. Je souhaite que France soit à nouveau candidate. Reste à savoir si on candidate au niveau 500 ou 250. Au 24 Septembre, une décision sera prise au Conseil d'Administration pour un maintien ou non.

Mon point de vue est clair : les Internationaux de France de badminton sont la grande fête de la discipline sur notre territoire, un moment ou l'ensemble des passionnés peuvent se rassembler après le début de saison. Toutes proportions gardées, nous avons crée un petit Roland-Garros du badminton. Cette mayonnaise a pris : avec 16 000 spectateurs en 2015, c'est la compétition qui remplit le plus Coubertin sur une semaine. Les championnats d'Europe l'ont montré : il ya une culture bad en France, un public plus large que les licenciés qui vient voir le spectacle. Les IFB doivent rester une manifestation récurrente.

La question est : à quel niveau se maintenir ? Pour moi , le but final est celui fixé en début de mandat : les IFB ne doivent pas coûter plus de 300 000 ¤ par an. Malgré des efforts supplémentaires sur l'organisation, les IFB 2015 n'ont coûté que 265 000 ¤ à la fédération. Nous devons rester dans circuit, et rester en respectant cette limite. Charge à nous de trouver des recettes pour couvrir ce delta. Des discussions sont ouvertes avec Yonex, mais on attend aussi un partenariat d'une grande société française. Je suis le premier à m'étonner quand je vois Citroën (Dongfeng en Chine), ou Total s'intéresser au badminton asiatique alors que ce sont des marques françaises. Le badminton français est pourtant un formidable point d'entrée dans l'Asie du Sud Est. Je suis donc confiant en notre capacité à maintenir cette manifestation, sans dépenser plus."


L'arrivée de Peter Gade a clairement constitué un événement pour le badminton français, avec déjà des résultats et une influence sur tout le groupe tricolore. Un après son arrivée, quel regard portez-vous sur son action et son rayonnement ?

"J'en veux toujours plus  (rires) ! Non, je suis très heureux. C'est quelqu'un que je voulais voir venir nous rejoindre des le début de mon mandat. Il avait alors d'autres préoccupations, comme construire sa vie d'ex-athlète. En 2015, il était prêt à nous rejoindre, et très enthousiaste. Ce choix ne s'est pas fait en claquant des doigts. Notre réflexion est de dire que le bad français aujourd'hui n'est pas encore au niveau international qui doit être le sien, ce qui s'explique par la jeunesse de notre fédération (38 ans). Prenons l'exemple de Brice (Leverdez, ndlr) et Baptiste (Carême, ndlr) : ils ont commencé le badminton vers 13 ans. Il leur manque les 6 années de pratique que Delphine (Lansac, ndlr) a eu en commençant tôt en club. Ils partent donc de plus loin.

Pour évoluer, nous avions 2 solutions : soit aller chercher l'expertise dans des fédérations asiatiques. La piste Park Joo Bong (entraîneur coréen du Japon, ndlr) était une piste sérieusement étudiée. Mais nous devions choisir aussi par rapport à la culture. La mayonnaise devait prendre ; il était donc plus opportun d'aller chercher un futur entraîneur européen, qui comprendrait notamment la notion de double projet et de reconversion. Peter était un candidat naturel, car amoureux de notre pays - il le dit assez -, et pour le côtoyer je peux vous assurer que c'est vrai. Il a clairement une meilleure connaissance des vins de France que moi ! Il a connu le très haut niveau, a été numéro 1 mondial, s'est maintenu dans le top 5 mondial pendant une décennie. C'est son expertise que je voulais pour la France.

Depuis le début de mon mandat , l'ambition est simple : gagner. Peter a su gagner le All England, et plusieurs compétitions majeures sur la planète. Ce sont ces derniers détails dans la préparation que je voulais qu'il nous apporte. Ça, il a su le faire. Je partage votre analyse : des choses ont changé dans l'attitude des joueurs, sur et en dehors le terrain, dans la volonté d'aller gagner. La France n'est pas la pour être le perdant magnifique. À la fin, on peut perdre en 3 sets autant qu'on veut : il reste un gagnant, et un perdant. Je veux les Français dans le camp des gagnants, individuellement et en équipe. La médaille d'argent à Kazan, c'est une vraie émotion pour tout le monde.

Mais surtout, Peter peut permettre à l'ensemble du bad français de monter en compétence. Il va partager aussi sa connaissance technique sur l'ensemble du territoire. Peter n'est pas la pendant 5 ans pour être un super entraîneur à l'INSEP. Il est la pour inculquer la culture gagne à tous les entraîneurs français. Demain, une petite qui arrive dans un club avec un coach qui a côtoyé Peter sera guidée pour s'entraîner dans des conditions qui en fera plus tard une future championne. Si Peter doit faire changer la façon jouer des badistes à chaque nouveau arrivant dans le pôle France, on prendra du retard. Le but, c'est de gagner des années en déployant des directives techniques dès l'année prochaine. Par une présence sur le terrain, nous voulons développer une véritable école du badminton français."

La partie 2 de l'interview ICI

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  • Rivet
    Le 05/07/2016 à 21h15 (0)
    Un très bel article ! bravo, et je compte beaucoup sur les changements du nouveau classement ! Je suis aussi content que les présidents ne fassent pas l'autruche et qu'ils disent clairement qu'ils ne l'aime pas. Sinon, petit oubli de lettre "je voulais Gade depuis le début de MON mandat"

    Merci pour la news !
  • Ivan Cappelli
    Le 05/07/2016 à 21h16 (0)
    Ravi que cette première partie de l'interview t'ai plu Rivet ;) Rendez-vous demain pour la partie 2 !
  • Rivet
    Le 05/07/2016 à 21h16 (0)
    C'est pas possible d'éditer les messages dans les commentaires des articles... histoire de corriger mes fautes ignobles....?
  • Ivan Cappelli
    Le 05/07/2016 à 21h46 (0)
    J'ai corrigé Rivet :D
  • Rivet
    Le 06/07/2016 à 1h27 (0)
    Ahah merci bien. J'arrête le spam de l'espace commentaire !